Intervention audition à l’Assemblée nationale - GE VIH/sida

14/05/2025

Je vous remercie pour votre invitation et pour me permettre de m’exprimer devant vous. 

La dernière fois que j’avais été auditionné par le Groupe sida, à l’époque d’Act Up, j’avais face à moi la députée Ségolène Royal, c’était il y a plus de 30 ans. Ça ne nous rajeunit pas !

Mais comme je le dis souvent, vieillir n’est pas la pire chose qui peut m’arriver.

Je vais aborder dans ces propos liminaires brièvement l’histoire de l’épidémie, puis mes années de militantisme à Act Up New York et Paris, et enfin la situation actuelle.

Deux-trois infos personnelles pour situer d’où je parle.

J’ai aujourd’hui 66 ans, je suis à la retraite depuis un an, j’ai commencé ma carrière de journaliste en 1983. Je suis président de Vers Paris et Seine-Saint-Denis sans sida. 

J’ai fait le test du vih en octobre 1985, dès sa disponibilité. Mon premier traitement, l’AZT, je le démarre en 1989. En raison d’une tuberculose, je suis au stade sida en 1994. Je démarre la trithérapie en 1996. J’ai eu un long parcours thérapeutique, ma charge virale est indétectable. 

Rappelons que grâce aux traitements, aujourd’hui, une personne séropositive se maintient en bonne santé et ne transmet pas le vih à ses partenaires.

Sur l’histoire de l’épidémie

Avant d’aborder les premières années de militantisme, je voudrais faire un pas de côté, pour un court rappel historique sur les origines de l’épidémie. On commence en général l’histoire au début des années 80, avec les premiers cas décrits en France et aux Etats-Unis. C’est la fameuse une du New York Times de juillet 1981, qui annonce des cas de cancer rare sur 41 homosexuels.

Mais le parcours de ce virus a débuté bien plus tôt, en Afrique, au Congo colonisé, au début du XXe siècle. Le colonialisme, qui a favorisé les déplacements de population, va contribuer à la transmission à l’homme du vih. 

Cette histoire, je ne vais pas vous la raconter. Mais elle mériterait d’être mieux documentée, parce que des milliers de femmes et d’hommes sont morts sans aucune reconnaissance et parce qu’elle interroge les rapports Nord-Sud global. 

Pour en savoir plus, je vous recommande les épisodes du podcast “Mécaniques d’une épidémie : le sida” sur France culture. Ou le documentaire “Sida : un héritage de l’époque coloniale”, diffusé il y a quelques années sur Arte.

Sur mon engagement militant 

C’est quand des amis très proches, Olivier, puis Laurent sont morts en 1989 et 1990, et tant d’autres amis sont morts aussi à cette même époque que je me suis dit : Je ne vais pas m’en sortir, il va falloir faire quelque chose. 

D’où mon engagement. En 1990 à Act Up New York, puis à Paris en 1991.

Alors, comment devient-on un combattant ?

Pour moi,  ça a été la lecture de Reports from the Holocaust, The Making of an AIDS activist, de Larry Kramer, fondateur d'Act Up New York. Lors d’un congé sabbatique dans cette ville, loin de France 2 où je travaillais. 

Dans les premières années, il fallait faire feu de tout bois dans les associations : alerter, diffuser de l’info, communiquer sur les avancées de la recherche, coaliser les groupes discriminés, apporter une aide matérielle, faire face aux deuils à répétition, dénoncer les discriminations qui font le jeu de l’épidémie. 

En 1983, un événement majeur dans l'histoire de l'épidémie s’est produit. 

Cette année-là, le 12 juin, un groupe de personnes vivant avec le sida ont énoncé ce qui est désormais connu sous le nom des « Principes de Denver ». Pour la reconnaissance des droits des personnes infectées. De cet acte fondateur du mouvement activiste communautaire, je retiens surtout cette revendication : « Participer à tous les niveaux de la prise de décision ». 

« Jamais rien pour nous sans nous. »

C'est aussi pour tenir haut et fort ces principes que j'ai accepté de devenir président de l’association Vers Paris et Seine-Saint-Denis sans sida en mars 2023. En tant que gay et séropositif.  Trop d’années d’inaction, de déni, de refus de voir la réalité en face ont conduit à la catastrophe. Paris est la ville la plus touchée d’Europe, avec plus de 10 000 morts du sida.

Quand l'épidémie flambe et que les activistes d’Act Up prennent la rue, ce sont nos corps qui sont en première ligne. Au silence et au déni, l'action directe oppose la visibilité des corps des séropositifs, nos visages, nos cris. 

En soutien à leurs amis gays, de nombreuses femmes dont de très nombreuses femmes lesbiennes se sont aussi impliquées dans cette armée de combattant·es. Je tiens à les saluer.

L’activisme a permis aussi de modifier les rapports médecins/malades, malades et politiques. 

Au début des années 90, on nous faisait bien comprendre qui avait le savoir et le pouvoir. Souvent à travers les médias, les combattant·es du sida ont bousculé les rapports de force et ont replacé les personnes vivant avec le VIH au cœur du discours et des enjeux. 

Puis sur tous les continents, une armée de combattant·es s'est mobilisée. 

Je n’oublierai jamais cette image à Durban, en Afrique du Sud, en 2000, lors de la conférence mondiale sur le sida, où un cortège d’hommes et de femmes réclament des traitements pour le Sud et portent tous le T-shirt « HIV positive ». 

Depuis, le Fonds mondial a été créé et l’accès au traitement s’est élargi. Mais près d’un quart des PVVIH n'a toujours pas accès aux traitements qui peuvent leur sauver la vie. 

Plus de 40 millions de morts depuis 1981 et encore 630 000 en 2023.

La crise du sida n’est pas finie ! 

J’ai donc milité à Act Up-Paris entre 1991 et 2004, je n’ai aucune nostalgie pour cette période, où nous passions trop de temps au Père Lachaise mais je regrette que les clashs numériques aient remplacé les discussions enflammées, passionnantes, inspirantes, éclairantes, en Réunion hebdomadaire, le mardi dans l’amphi des Beaux Arts. 

C’est pas pour rien que je me tiens à distance des réseaux sociaux.

Sur la situation actuelle

Ce qui m’amène à la situation actuelle avec quelques réflexions : 

Depuis la Déclaration de Paris, en 2014, sur l’engagement des Villes pour mettre fin à l’épidémie, de nombreuses avancées ont eu lieu.

  • En 2015, les autotests sont autorisés en pharmacie, et en 2018 autorisés en distribution gratuite.

  • 2016, c’est l’année de la mise à disposition de la PrEP. Fin juin 2024, le nombre de personnes de 15 ans et plus ayant déjà initié la prophylaxie pré-exposition (PrEP) en France s'élevait à 103 407. Mais on constate un ralentissement et la PrEP c’est plus de 95% de prescriptions chez les hommes.

  • En 2019, Vers Paris sans sida lance un programme sur l’accès au test du VIH en labo de ville sans ordonnance, sans rendez-vous et sans avance de frais, qui montre une hausse de 8% des dépistages à Paris. Le gouvernement décide de sa généralisation en 2022, c’est VIH TEST. Puis en septembre 2024 le dispositif s’étend à plusieurs IST, c’est IST TEST. Malheureusement ces dispositifs ne sont disponibles que pour les personnes ayant des droits ouverts : Vitale, AME, etc. 

Tous ces dispositifs donnent des résultats. 

À Paris, entre 2014 et 2023, la baisse des nouvelles infections par le VIH a été de 33 %. 

En France, nous avons sans doute atteint les 3 chiffres clés de la cascade, les fameux 3x95 : 95% de PVVIH diagnostiquées, 95% en traitement et 95% en charge virale indétectable. Des indicateurs qui, selon l'Onusida, doivent permettre de mettre fin à l’épidémie. Nous y sommes presque avec 94-96-96. 

Mais ces derniers mois, l'annonce d'augmentations significatives des cas de VIH à Montréal, en Allemagne, au Royaume-Uni, a fait l'effet d'une sonnette d'alarme. En France, après une forte baisse, le nombre de personnes ayant découvert leur séropositivité VIH a ré-augmenté en 2021 et 2022 tout en restant inférieur à celui de 2019. 

Cette augmentation touche plus particulièrement les personnes nées à l’étranger, qu’elles aient été contaminées par rapports hétérosexuels ou rapports sexuels entre hommes.

Je n’ai pas le temps de faire le panorama complet de la situation actuelle, mais j’aimerai insister sur quelques points : 

  • L’impact brutal de l’application de la « prime Ségur » dans les associations qui va en fragiliser beaucoup et même les voir pour certaines mettre la clef sous la porte,

  • la situation socio-économique des Personnes vivant avec le VIH (je tiens à votre disposition l’étude des Actupiennes réalisée en 2022 et 2023, qui porte sur les PVVIH de plus de 50 ans et qui montre une grande précarité),

  • Dans le domaine de la prévention, il y a encore un trop grand retard au diagnostic. Globalement seulement la moitié des personnes infectées sont diagnostiquées dans l’année qui suit leur infection, un quart entre 2 ans et près de 5 ans non diagnostiqués et 25% au-delà.  

  • Cela signifie qu’on doit notamment renforcer les messages sur le test régulier et pour les actions de dépistage en particulier l’aller-vers comme le montre l’étude qu’a réalisé l’an dernier la présidente d’honneur de Paris sans sida France Lert et que je tiens ici à votre disposition. 

J’aime bien cette phrase de l’acteur trans Eliott Page : « Quand on a le privilège de pouvoir s’exprimer et d'être entendu, il faut faire tout son possible pour parler des autres »

Les menaces de recul des droits, les politiques mises en place fragilisent certaines populations et vont à l’encontre de la politique de santé publique. 

Sans pouvoir développer, cela concerne les personnes trans, les étrangers et les exilés, les travailleuses du sexe, Il y a aussi un retour en arrière sur les droits des femmes. 

J’insiste en particulier sur la remise en cause de l’AME mais aussi sur le droit au séjour des étrangers malades. De plus en plus d’associations signalent des refus de renouvellement de carte de séjour pour soins avec l’argument que le traitement existe dans le pays d’origine. C’est inacceptable ! 

Je veux partager aussi mon indignation sur la répression policière de la contestation sociale.

Et bien sûr, nous sommes très inquiets sur la diminution de l’aide au développement décidée par la France.

Sans parler des décisions criminelles de l’administration TRUMP qui va durement impacter la lutte contre le sida.

Je vous renvoie d’ailleurs au communiqué de presse du Conseil national du sida du 7 mai dernier qui appelle la France et l’Europe à agir rapidement et renforcer les moyens alloués à la lutte contre le sida. Un communiqué qui salue aussi l’initiative, votre initiative de députés qui en appellent à l’Europe. 

Je vais conclure mais un petit mot sur le casting de ces auditions


Sur le casting de ces auditions, je vous invite mais vous y avez sûrement réfléchi déjà pour les prochaines, à entendre des membres des communautés affectées et des associations communautaires. Je pense à Bamesso et ses amis, Ikambere, Afrique Avenir ou URACA pour les actions auprès des populations migrantes, Le Bus des femmes ou les Roses d’acier pour les TDS, Acceptess-T et le Passt pour les personnes trans. Ou encore Les Séropotes, le CheckPoint, le 190. 

Ce que je veux vous dire, c’est que c’est important d’analyser le passé, mais la lutte contre le vih reste vous le savez un combat actuel, avec ses avancées et ses reculs (je tiens à votre disposition une liste pour Paris et la Seine-Saint-Denis). 

En conclusion

En conclusion, vivre avec le vih, c’est aujourd’hui possible, pas simple mais possible. 

Mais vivre avec le VIH, c’est aussi résister, ne pas se résigner, lutter contre le racisme, le sexisme, les lgbtphobies, toutes les discriminations qui alimentent l’épidémie. 

On ne mettra pas fin à l’épidémie si on montre du doigt ou que l’on brutalise certaines populations. Vivre avec le vih ce n’est pas seulement se battre pour sa santé et pour ses droits mais c’est aussi se soucier des autres. 


Je vous remercie de votre attention.

Christophe MARTET